LÀ-HAUT 1974
Comédie en trois actes de Pere Guisset, traduite du catalan roussillonnais par Pere VERDAGUER. L'action se passe dans une salle peinte en blanc. À gauche, une table et une chaise. À droite, un siège blanc, deux chaises. Trois portes: la première est rose, la seconde verte et la troisième rouge. Un appareil de télévision étrange. Un central électronique, avec des lumières vertes et rouges. Personnages: Pau............................................................40 ans Quim, son ami...........................................40 ans Flabiol, employé aux entrées de là-haut..........50 ans Angela, secrétaire générale de là-haut.............40 ans Joan, le noyé...............................................30 ans Margot, la noyée, sa femme.........................25 ans Belota, la vieille...........................................86 ans Roseta........................................................18 ans Saint Pierre..............................................60 ans Tramuntana................................................35 ans Premier angelot...........................................12 ans Deuxième angelot........................................12 Ans La voix du diable (Voir la distribution dans la version catalane) PREMIER ACTE Scène I (Pau et Quim plus deux angelots) Quand le rideau se lève, la scène est dans l'obscurité. On entend un bruits épouvantable: deux voitures viennent de se télescoper. Peu à peu il y a une lumière de différentes couleurs: verte, rouge, jaune... et on voit Pau et Quim, les deux héros, accidentés. Ils sont couchés, Pau sur son siège et Quim sur le sol, tenant un volant à moitié cassé attaché à la main droite. Pau se réveille d'abord et, très étonné, il regarde autour de lui. Pau (encore à moitié assommé): Et alors, Treseta, il arrive, ce café? Tu es allée le chercher au Brésil? Il est encore à griller? (Il se réveille tout à fait). Nom d'un chien! Où suis-je? Tiens, Quim est là! Mais... mais... il est assommé! (Il tapote sur les joues de son comparse, lui fait de l'air avec un mouchoir). Hola, Quim! Quim! Voyons si je devrai lui faire le bouche-à-bouche pour le réveiller! Je me sens léger, léger... c'en est étonnant! (Il appelle encore) Quim! Allons, réponds-moi! Quim! Quim (se réveillant): Déjà six heures! Au diable le travail! Pau: Ça ne va pas mieux, la tête? Il ne s'agit pas du travail, mon ami! Et je ne sais foutre pas où on est! Quim (regardant autour de lui): Diable, diable! Qu'est-ce qu'on fout là, Pau? Pau: Je n'en sais fichtre rien. Je suis léger, léger... Comme un papillon! Quim: Papillon, papillon! Tu serais plutôt une mite... Mais moi aussi, Pau! On dirait que je vole! Qu'est-ce qui nous arrive? Pau: Tu veux mon opinion? C'est un farceur qui nous a amenés ici! Quim: T'as raison! On nous a amenés sans qu'on se rende compte. C'est un tour qu'on nous a joué! Pau: Ça se peut. On était saouls comme des bourriques! Quim: Il fallait ça, pour qu'on ne se souvienne de rien! Pau: Tu crois qu'on était trop pleins? Quim: C'est sûr, mon pauvre ami! On n'y était pas allé avec le dos de la cuiller! Le pinard coulait à flots! Pau: Pourtant, je n'ai ni aigreurs d'estomac ni mal à la tronche, après cette mémorable cuite... Quim: C'est bien vrai, ça! Au contraire! Je suis frais comme une rose au matin, sous la rosée. Là-dessous, Pau, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Pau: T'as raison, Quim! Réfléchissons. Où donc était-on? Quim: Oui, réfléchissons. Mais j'ai un trou de mémoire! Je ne me souviens de rien. Pau: Attends, attends un peu... Voilà, ça me revient! On était allé faire la bringue à Perpignan! Et on était bien contents! Il est certain qu'on n'avait pas bu que de la limonade et de l'eau du Boulou! Quim: Bien sûr, je me souviens aussi... C'est du vin doux naturel, qu'on buvait! Ne cherchons plus. Le banquet s'est terminé chez les filles. On doit être chez les belles-de-nuit. Pau: Tu crois? Et où's qu'on serait? Je ne reconnais pas la maison. Non, Quim, y'a erreur. C'est pas un bordel, ça. Même s'il y a des lumières rouges! Quim: Tu crois? Où's qu'on serait, donc? Où's qu'on a terminé la nuit? Pau: Attends... Tais-toi... Qu'est-ce que tu tiens donc dans la main? Un volant d'auto? Quim: Je le reconnais: c'est le volant de ma mercedes! (Il essaie de s'en débarrasser). Mais, mais, je ne peux pas le décrocher (Il tire fort). Pau: J'y suis! Souviens-toi! On était sur la route, après Pollestres... Quim: Exact. Après le mas Sabole, avant l'Olivier... (Il fait comme s'il conduisait). Pau: Tu te prenais pour Beltoise ou pour Pescarolo! Tu filais comme le vent! Tu y es? Quim: Oui, bien sûr! Pau: Devant nous il y avait une deux chevaux... qui filait à vive allure... au milieu de la route! Tu t'es fâché tout rouge. Tu criais après le conducteur! (Il fait comme s'il conduisait une voiture, sortant la tête par la fenêtre): Tortue! Limace! Ôte-toi de là! Va paître au bord! Maladroit! Chauffeur du dimanche! Quim: Je me souviens. T'as raison! Pau: Tout à coup j'ai vu un platane qui venait vers nous et grossissait à vue d'oeil (Il fait un geste pour se protéger). Après, je ne me souviens de rien. Quim: Quel choc, mes enfants! Et nous voilà tous les deux là, légers comme des hirondelles! Les vêtements en lambeaux, mais sans plaies ni bosses! Pau: À mon idée, une bonne âme nous a ramassés et nous a conduits ici. Quim: T'as peut-être raison, mais où's qu'on est? À quoi sert cette table? Et ce siège étrange? Que sont ces portes de toutes les couleurs? Pau: Un hôpital, peut-être. Quim: Impossible. Si on était dans un hôpital ou une clinique, on aurait mal quelque part. Tu as mal quelque part, toi? Pau: Moi? Non. J'y comprends rien! (On entend une musique lointaine). Quim: Chut! Tais-toi? J'entends une musique! Un violon et un piano. Et qu'est-ce qu'on joue bien. C'est pas des amateurs, ça! C'est pas de la musique pop, ça! (Il écoute à la porte verte) Elle vient de là, Pau!... Mais c'est fermé a clé. (Il écoute à la porte rose) Là on n'entend que quelques rires! (Il écoute à la porte rouge). Oh, là, là, Pau! Là on se croirait chez un arracheur de dents! Des cris, des gémissements, des plaintes! Et ça sent fort le roussi! Toutes les portes sont fermées à clé! Pau: Je me demande bien où's qu'on est. (Deux angelots entrent, vêtus de blanc, avec des ailes et portant un gros livre qu'ils posent sur la table. Puis ils sortent). Quim (étonné): Pau, tu as vu ce que j'ai vu? Pau: Oui, Quim! J'ai vu ce que tu as vu! Quim: Deux angelots! Pau: Deux angelots! Quim: Avec des ailes! Pau: Avec des ailes! Quim: Qui portaient ce gros livre! Pau: Qui portaient ce gros livre! Quim: Donc, Pau, si on ne nous fait pas une grosse farce, j'ai peur de comprendre! Pau: Moi aussi! Ces deux angelots ne me disent rien de bon! Quim: Aïe, Pau! Malheur à nous! Je crois qu'on est monté tout droit là-haut. Pau (fou furieux): Tu vois! Monsieur Quim voulait faire comme Beltoise! Avec son bolide, Monsieur Quim allait plus vite que la tramontane. Et il criait à tout le monde: Tortue! Limace! Tu vois le résultat, tête de lard! Quim: Je te demande pardon, Pau! Je suis tout chose! C'est allé bien vite, tout ça! Un moment d'inattention et pouf! Tu te retrouves avec les petits anges! Pau: Il est bien temps de se lamenter! Je suis sûr qu'on ne tardera pas à voir saint Pierre paraître. Quim: Et c'est alors qu'on ne rira plus! Pau: On est sûrs de notre destination, nous! On ira tout droit faire du feu avec Lucifer, l'homme à la fourche! Quim de malheur! Quim; Calme-toi, Pau! Tu crois qu'on ira tout droit au four? Pau: Comment veux-tu qu'il en soit autrement? Menant la vie de patachon qu'on menait en bas! Quim: Il est certain qu'il faudrait que saint Pierre soit bien indulgent pour oublier les raclées que tu fichais à ta Treseta... Pour oublier que tu la laissais sans argent pour s'occuper de ses quatre gosses! Et ta méchanceté de tous les jours, tu crois qu'il n'en sait rien? Pau: Et tu oublies nos cuites! L'heure est venue de payer tout ça! Quim: On va essayer d'amadouer saint Pierre! On dit qu'il n'est pas bien méchant. Pau: Je préfèrerais qu'il n'ait plus beaucoup de mémoire. Quim: C'est vrai qu'il doit être vieux! C'est pas impossible qu'il ait tout oublié. Il doit être gâteux. Pau: Oui, compte là-dessus! Tout doit être enregistré, n'aie crainte. Scène II (Pau, Quim, Flabiol, tout de blanc vêtu) Flabiol: Soyez les bienvenus. Et excusez-moi de vous avoir fait attendre. J'étais occupé dans l'entrée principale. Pau (étonné): Tiens... saint Pierre! Je ne me le représentais pas comme ça... Flabiol: Mais non! Je ne suis pas saint Pierre. Je suis Flabiol! J'étais cerdan... pour vous servir! Et suis chargé, ici, de recevoir les nouveaux clients. Je suis dans la section accidents. Quim: Flabiol! Avec cette camisole, je ne te reconnaissais pas! Tu ne te souviens pas de moi? Je suis Quim! On était ensemble au régiment. Au 24! Je suis Quim. Flabiol: Bien sur, Quim Despullabelitres! Je me souviens. (Ils s'embrassent). Mais tu es maigre comme un clou, mon ami! Quim: Il y a eu la sécheresse, l'an dernier! Flabiol: Et ce gaillard, qui c'est? Pau: Moi je suis Pau de la Remingola, de Céret. Flabiol: Ah, bon! Je connaissais bien ta famille. Pau: Tout ça ne commence pas si mal. Nous connaissons du monde par ici. On pourra peut-être s'arranger. Quim: Il y a longtemps que tu es là, Flabiol? Flabiol: Environ dix ans. Un accident de chasse. Et vous? Pau: Nous? Eh bien voilà: monsieur Quim est un si grand fanatique du volant qu'il ne s'en sépare même pas au ciel! Il était quelque peu pressé, sur la route de Pollestres! Il avait oublié les platanes. Quim: Il n'est pas question que je laisse le volant! Je veux le garder toute l'éternité! Et toi, Flabiol, tu vas bien? Comment c'est, ici? Flabiol: Pas mal! Je suis employé aux entrées! Je suis bien. Je n'ai pas à me plaindre. Pau: Tu es employé aux eaux usées, en quelque sorte. Flabiol: Si l'on veut! Je suis chargé de la porte rose, celle du Purgatoire. La verte, c'est le Paradis, et la rouge, l'Enfer. Quim: Il doit y avoir une fameuse clique, là-dedans? Flabiol: Oui, alors! À la porte rose ils sont nombreux, mais c'est rien, à côté de la porte rouge! Ils sont serrés comme des anchois de Collioure! Et, tu sais, ils en bavent! Mais là, à la porte verte, y'a en a peu, peu! On ne se bouscule pas au portillon! Quim: Il n'y a pas de risque que nous les gênions, donc! Pau: Tu dis qu'à la porte rouge on n'y est pas bien? Tu dis qu'on y est serrés comme des anchois? Flabiol: Je crois bien! Je vous plaindrai si on vous y met! Pau: Eh bien, mes enfants! Nous sommes propres! Moi qui ne supporte pas la chaleur! Je vais me régaler! Flabiol: Donc, c'est un accident de la route qui vous a menés ici? Pau: Oui, c'est cet imbécile... qui pour passer devant une tortue... a fait le lièvre. Quim: Arrête, Pau! N'insiste pas! On ne peut rien y changer! Flabiol: Vous savez, des accidents de la route il y en a beaucoup de nos jours! Et on dit que l'essence est chère! Pas encore assez chère, je crois. Moi, je la mettrais au prix du whisky... C'est effrayant! Le samedi et le dimanche on a tellement d'entrées qu'il faut faire des heures supplémentaires! C'est beaucoup, pour nous, pauvres fonctionnaires! On ne sait plus où donner de la tête! Et aux vacances, donc! Beaucoup viennent les finir ici! Quim: Il me semble qu'aujourd'hui c'est un jour plutôt calme. Vous n'êtes pas trop fatigués. Il n'y a que nous qui sommes venus! Flabiol: Aujourd'hui, Dieu merci, ça va! Il faut dire que tout a été modernisé, ici. Il y a un certain temps qu'on a des ordinateurs, des machines à calculer, la télé, un central électronique, etc... Les enregistrements sont vite faits! Quim: Pour nous, maintenant... Comment ça va se passer? Flabiol: Ce sera Angela, la Secrétaire générale, qui va venir dans un moment. Elle vous posera quelques questions et vous inscrira sur le registre. Pau: Et pourquoi n'est-elle pas encore là, cette Secrétaire générale? Flabiol: Elle, c'est une employée modèle: l'heure c'est l'heure. Elle ne commencerait pas une minute avant, même si le ciel devait lui tomber sur la tête. Pour plier, c'est autre chose: là, ça ne lui fait rien de partir une minute avant! Quim: Et comment elle est, cette Secrétaire générale? Elle est de bonne composition? Flabiol: Qu'est-ce que je vous dirai... Elle est comme les trois quarts des employées: revêche, mal lunée, paresseuse comme une taupe et gracieuse comme un massif de ronces. Pau: Ça ne nous changera donc pas de la Terre! Je vois qu'on les fait tous avec le même moule. Quim: Pas tous, Pau! Pas tous! Pau: Pas tous, peut-être, mais une bonne partie! Quim: Dis, Flabiol, j'aimerais voir ma Rosina. Comment elle a réagi. Elle doit être désespérée, pauvre Rosina. C'est possible? Flabiol: Bien sûr! Bien sûr! On a une sorte de télé où on peut voir tout ce qui se passe en bas! Pau: Incroyable! On fait vraiment des progrès extraordinaires! Je pourrai voir ma Treseta, moi? Quim: Ça c'est fort! Il la battait tous les jours et maintenant il voudrait la voir, cet andouille! Et il le demande la larme à l'oeil! Flabiol: C'est possible, Pau. C'est possible. Tu verras ta Treseta. En ce moment, non, parce que la Secrétaire générale est sur le point d'arriver, mais dès qu'elle sera partie, vous verrez dans l'appareil Treseta et Rosina. Quim: Flabiol, tu es un brave type! Flabiol: C'est pour ça que je suis à la porte rose! Pau (qui voit quelqu'un arriver): Tiens, Flabiol, ce doit être la Secrétaire générale! (Une femme en blanc et portant des lunettes entre). Scène III (Pau, Quim, Flabiol, la Secrétaire Angela) La Secrétaire arrive sans se presser, s'installe à sa table et ouvre le livre. Flabiol: Madame Angela! Madame Angela! Nous avons deux entrées. La Secrétaire: J'ai mes lunettes, Flabiol! Je les ai vus! Pau (à Quim): Quim, c'est sûr qu'elle a l'air d'être quelqu'un. Quim: Tais-toi, Pau! Avec ces gens il faut faire gaffe! La Secrétaire: Tiens, j'ai oublié ma gomme.... Je vais la chercher. Pendant ce temps, Flabiol, envoyiez ces deux malins au magasin, qu'on les habille comme il faut. Et surtout, que je ne voie plus ce volant qui pend au bras de ce macaque. (Angela les regarde). Saint Marc, en voilà un air intelligent! Flabiol: Bien, madame... Je pensais que... La Secrétaire: Vous n'avez pas à penser, Flabiol! Faites ce que je vous dis, s'il vous plaît. Je vous dispense de vos réflexions. Quand vous pensez, vous faites un si gros effort que j'entends votre cerveau grincer! (Elle sort). Quim: Je ferai tout ce qu'elle voudra, mais je n'abandonnerai jamais mon volant! Pau: Au diable ton volant! Mets-toi-le donc quelque part et n'en parlons plus. En tout cas j'ai vu que cette grande diablesse a le poil hérissé! Quim: C'est sûr que Sainte Grâce n'est pas sa fête! Pau: Ce serait la Secrétaire d'un adjudant à la retraite que ça ne m'étonnerait pas! Quim: Ce sont ces gens-là qui ont les bonnes places! Flabiol: Laissez, donc! C'est sa nature. Elle est née à la vieille lune, en hiver, dans une maison enfumée! Pau: C'est sûr que, si elle faisait exprès, ce serait une grande comédienne. Flabiol: Suivez-moi au magasin aux costumes. Il faut vous habiller en blanc. Quim: Et les ailes? Flabiol: Ça, c'est du ressort de la Secrétaire générale. Pau: Donc, si nous devons compter sur elle pour les ailes, nous sommes propres! Elle nous mettra plutôt des oreilles d'âne! Quim: On me laissera mon volant, au moins? Flabiol: Laisse donc ton volant tranquille. Venez. Sinon, c'est moi qui écoperai! Pau: Avec une telle directrice, tu ne dois pas rigoler tous les jours! Flabiol: Tu sais, moi je laisse pisser la mule. Dépêchons. Allez changer ces nippes! (Ils sortent) DEUXIÈME ACTE Scène I (Joan et Margot) (La lumière s'allume et un couple entre: Joan et Margot. Il sont accompagnés par deux angelots qui leur font signe de s'asseoir). Joan: Tu vois, Margot! Tu as gagné. Si tu m'avais écouté quand je te disais d'aller en vacances à la montagne plutôt qu'à la mer, nous n'en serions pas là! On ne verrait pas des anges voleter autour de nous! Margot: Ne commence pas! D'abord, pourquoi tu protestes? Qui a voulu faire le malin sur la plage d'Argelès parce qu'une pin-up le regardait? Qui a voulu aller au-delà des bouées, des flotteurs blancs? C'est Joan! Et qui c'est-y qui a coulé à pic? C'est mon petit Joanet! Tu nageais comme une vielle savate, mais tu voulais faire le beau quand même! Et, dis-moi, qui a essayé de le sauver, cet andouille-là? C'est la pauvre Margot!... Qui a coulé avec toi! Joan: J'ai une excuse: la crampe. Margot: C'est à l'oeil que t'aurais dû l'avoir, la crampe! Si t'étais resté bien sagement sur la plage, tu l'aurais pas eue, ta crampe. Mais non, monsieur voulait faire le paon! Il se prenait pour un champion de natation! Et voilà le résultat? Ici tu ne verras plus de pin-ups, mais des anges! Joan: Il n'en est pas moins vrai que si on était allé à la montagne, on serait encore en bas! Margot: Parlons-en, de la montagne! C'est ta manie de te faire toujours remarquer qui nous a conduits ici! Mon Joanet avait toujours l'air de dire: regardez-moi, je suis le plus beau! Quand il se promenait sur la plage du Racó, il rentrait son ventre comme ça. (Elle fait quelques pas en rentrant le ventre et en roulant des épaules). Il se prenait pour Apollon lui-même. Gros crétin, va! Alors qu'on était si bien, en bas! On avait tout pour être heureux: la santé, l'argent... On gagnait souvent au tiercé, et malgré l'inflation ça n'allait pas mal du tout. Mais il fallait que monsieur Joan se prenne pour Tarzan! Ça me dépasse, moi! Joan: Mais pourquoi diable venais-tu me sauver? Margot: Je ne venais pas pour te sauver, mais pour t'aider à te noyer! Seulement tu t'es accroché si fort à moi qu'on y est passés tous les deux! Joan: Ça m'étonnait aussi, de ta part, que tu aies essayé de me sauver! Margot: Au point où on en est, je peux bien te l'avouer: j'en avais par-dessus la tête, de toi! Ce qui m'intéressait c'était ton argent! Oh, mais, tu t'es vu? Tu n'as ni conversation ni éducation! Tout ce que t'as, c'est une chance de cocu! De pendu! Tout te réussissait! Joan: Oui, tout me réussissait... jusqu'à ces vacances à la mer! Margot: Je regretterai la vie qu'on menait! Ici, peut-être, ce ne sera pas pareil! Et tout ça à cause d'un Tarzan manqué! D'une demi-portion! Scène II (Joan, Margot, Flabiol) Flabiol (il entre): Soyez les bienvenus! Et ne vous disputez pas! Maintenant, ça ne sert plus à rien. Margot: Qui vous êtes, vous? Flabiol: Je suis l'employé préposé aux arrivées! Margot: Bien, parlons peu mais parlons bien: comment on peut s'y prendre pour redescendre? Flabiol: Ma bonne dame! J'ai bien peur que ce soit là une chose difficile. Je crois que vous êtes là pour un bon bout de temps. Margot: Il n'y a pas moyen de s'arranger? Même en graissant la patte? Avec de l'argent, tout s'arrange... Flabiol: Avec quoi voulez-vous payer, ma pauvre dame? En bas, avec de l'argent on fait ce qu'on veut. Mais ici... c'est une autre paire de manches... Margot: En bas on a un proverbe qui dit: "En graissant le chariot, on aide les boeufs". Flabiol: D'accord, mais ici la corruption n'existe pas. Ici nous avons aussi un proverbe: "Avec l'homme, essaie l'or, et tu sauras ce que vaut son coeur". Margot: Je veux voir votre patron. Allez-le chercher. Flabiol: Saint Pierre? Vous croyez qu'il n'a pas autre chose à faire, saint Pierre, que d'écouter vos fantaisies? Asseyez-vous là et attendez la Secrétaire générale, qui va vous enregistrer... Elle vous dira aussi de quel côté il vous faudra aller. Joan (levant le doigt): Voyons, voyons, Monsieur Flabiol. Il n'y a pas moyen de s'arranger un peu? Si Margot va d'un côté, vous ne pourriez pas me mettre de l'autre? Margot: Ça c'est bien vrai! Mon pauvre Joan, moi non plus je ne veux plus te voir! Là-dessus, on est bien d'accord! Flabiol: Ce n'est pas de mon ressort. Adressez votre demande à la Secrétaire générale. Margot: Mais où diable elle est, cette Secrétaire générale? Elle fait la sieste? Flabiol: Non, madame Margot, non. Elle avait oublié sa gomme. Justement, la voici! Scène III (Margot, Joan, Flabiol, la Secrétaire générale. Cette dernière entre sans se presser). Margot: C'est l'heure de se mettre au travail, ça? Il ne faut pas s'en faire: on attendra, nous! La Secrétaire: Qu'est-ce à dire? Vous voulez élever la voix? Mais, madame, avec la rage qui vous emporte, il doit y avoir longtemps que vous ne vous êtes pas purgée, vous! (À Flabiol) Flabiol, accompagnez la Marquise des Oeufs Couvés et son mari au magasin, qu'on les habille! Et vite! Margot: Mais dites donc, dites donc, vous, mal embouchée! Que sont ces airs-là? Vous savez, au moins, à qui vous parlez? La Secrétaire: Je le sais très bien, madame. C'est pour ça que je ne mets pas des gants. Margot: Vous vous souviendrez de moi. Dès que j'aurai vu votre patron. (On entend le gros rire du diable). La Secrétaire: Tiens, le voilà le patron que vous aurez à partir de maintenant. Vous l'entendez rire? Ma pauvre femme, vous êtes bonne pour la porte rouge! Flabiol: Allez, suivez-moi. Il vous faut vous habiller. Margot: N'allez pas croire que ça va se passer comme ça. Je me plaindrai! La Secrétaire: C'est entendu, Madame, c'est entendu! (Margot, Joan et Flabiol sortent). Bon, en cherchant ma gomme, j'ai oublié mon stylo! (Elle sort). Scène IV (Entrent Quim et Pau, habillés en blanc, avec Flabiol) Quim: Mais non, mais non! Flabiol, ça ne va pas: on m'a donné des vêtements trop gros. On pourrait y contenir tous, dedans: moi, ma Treseta, tous les enfants et même ma belle-mère! On dirait un gros boudin! Pau: Les miens sont au contraire étroits! On dirait un saucisson sec ou une sauterelle! Si je fais un mouvement brusque, tout se déchirera. Quim (le regardant): C'est sûr, on dirait un saucisson sec, et même de la saucisse! Flabiol: On arrangera ça plus tard. Quim: Mais c'est pas fini! Je veux des ailes, moi, comme les anges! Flabiol: Ça, Quim, c'est la Secrétaire générale qui en décidera! Tout dépend de l'ordinateur! Et, bien sûr, de ce que tu as fait en bas. Pau: Si c'est ça, c'est pas la peine de prendre des mesures pour les ailes: on n'y aura pas droit. Quim: Où elle est la Secrétaire? Elle est repartie? Nous y sommes pour huit jours! Pau: Mon pauvre ami! Si ce n'était que pour huit jours! Quim: Dis, Flabiol, je peux consulter la télé pour voir ma pauvre femme, ma Rosina... Ce qu'elle fait en bas... Où elle est... Flabiol: Ne soyez pas pressés! Vous regarderez plus tard, quand la Secrétaire sera occupée ailleurs! Pau: D'accord, mais s'il lui en coûte autant pour en finir que pour commencer, nous sommes là pour un moment! Flabiol: Et ne cherchez pas à la tromper quand elle vous posera des questions. Tout est écrit! Pau: Puisqu'elle sait déjà tout, pourquoi doit-elle nous poser des questions? Flabiol: C'est comme ça. Il ne faut pas chercher à comprendre l'administration! Vous savez, vous n'avez pas fini de remplir des pages! Asseyez-vous et soyez patients... (La lumière rouge s'allume). Tiens, une nouvelle entrée! Excusez-moi! Scène V (Pau, Quim, Flabiol, la vieille Belota) Belota, une femme de 86 ans, entre. Flabiol l'accompagne. Flabiol: Par là, ma bonne dame! Venez! Asseyez-vous à côté de ces deux messieurs! (Flabiol sort). Belota: Bonjour tout le monde! Pau et Quim: Bonjour! Pau: Qui êtes-vous? Belota: Mes pauvres enfants, mais tout le monde me connaît, moi! Je suis Belota, de Taillet! Et vous? Quim: Moi je suis Quim, et lui c'est Pau. Tous les deux de Céret. Belota: Il y a longtemps que vous êtes là? Quim: Non, ma bonne dame: on vient d'arriver! Pau: Et nous repartirions avec plaisir! Belota: Moi, je suis contente d'être là. Vous n'imaginez pas ce que j'ai enduré, en bas! J'en avais par-dessus la tête! Oui! Je demandais tous les jours à monter. Pau: Si vous avez la chance d'entrer par la porte verte, ou même par la porte rose, ça ira. Mais si par malheur vous entrez par la porte rouge, alors vous préfèreriez peut-être être en bas! Quim: Qu'est-ce que t'en sais? Tu y es déjà allé, à la porte rouge? Pau: Ne t'inquiète pas: on ne tardera pas à le savoir. Mais aux gémissements qu'on entend, et au roussi qu'on sent, on devine que ces clients-là ne sont pas exactement à une surboum! Quim: Ça, c'est sûr. Belota: Ça ne fait rien! Si mauvais que ce soit, ce ne sera pas pire qu'en bas. Je vous répète que j'en ai vu de toutes les couleurs, moi. Il n'y a rien de bon dans ce monde-là. Pauvre, malade, abandonnée de tout le monde! J'ai travaillé toute ma vie, j'ai fait les travaux les plus pénibles, les travaux des champs! Regardez mes mains comme elles sont rugueuses, terreuses! Il était temps, croyez-moi. Je bénis l'auto qui m'a écrasée. Quim: Mais que fait la Secrétaire? En voilà une que le travail ne tuera pas! Pau: Et Flabiol? Où il est passé. Tiens, quand on parle du loup... Flabiol (il entre): Voyons, Madame, vous êtes bien Belota, de Taillet, et vous avez bien quatre-vingt-six ans d'âge? Belota: Pas de doute là-dessus: je suis Belota de Taillet. Et je suis contente de faire votre connaissance. Flabiol: Eh bien j'ai le plaisir de vous dire que vous devez revenir en bas! Il faut nous excuser, il y a eu une erreur. Ce n'était pas encore votre heure! Belota: Jamais de la vie! J'y suis, j'y reste. Je ne retournerai pas en bas! Flabiol: Moi, je n'y peux rien, madame. Belota: Mais j'ai plus de quatre-vingt-six ans, moi! Je ne suis d'aucune utilité! Je ne prendrai pas beaucoup de place, ici. Je ne vous poserai pas de problème. Je mange peu, comme un oiseau! Une gorgée de lait me suffit. Moi qui ai tant souffert du froid, j'aurai au moins chaud ici! Vous savez, le bois de chauffage et le mazout sont horriblement chers! Flabiol: Il n'y a rien à faire, madame. Allons, ma chère Belota, vous n'aurez plus à attendre longtemps. Vous reviendrez bientôt. Belota: Bon Dieu de bon Dieu! Il y a autant de justice ici qu'en bas! (Elle sort, avec Flabiol). Quim: De sorte que cette bonne femme a fait le voyage pour rien? Pau: Il n'y a pas de risque que cela nous arrive à nous! Quim: Ça, c'est sûr! Scène VI (Pau, Quim, Joan et Margot, tous en blanc). Margot: C'est un scandale! Regardez comme on m'a fagotée! On dirait un sac de farine! Et c'est tout rapiécé! Je vous jure que je me plaindrai en haut lieu.
Quim: Que vous arrive-t-il, madame? Pau: Elle est furieuse parce qu'on l'a traitée comme nous! On l'a habillée avec du prêt-à-porter! Vous n'y étiez pas habituée, sans doute? Margot: Non, monsieur! Je n'y étais pas habituée! Je suis d'une autre classe sociale, moi! Vous êtes des petits..., des crève-la-faim. Pau: Vous, la Comtesse de mes Deux, vous étiez une privilégiée. Je parie que vous étiez fonctionnaire? Margot: Vous l'entendez, ce marchand de cacahuètes? Qu'est-ce que vous avez à dire des fonctionnaires? Sans eux, vous seriez des vagabonds, juste bons à mendier... Quim: Arrête les frais, Pau! Il pleut du côté de Fontfreda! (Il saisit un bout de la robe de Margot). Remarquez bien qu'avec une paire de pinces et un soufflet derrière, elle vous irait à ravir! Margot: Un soufflet! Un soufflet! Vous allez en prendre un sur le nez, vous, de soufflet, qui vous enverra aux cent diables! Pau: Du calme! Du calme! Une chienne qui aboie ne mord pas! Margot: Quelle araignée l'a piqué? Pau: L'araignée d'à-côté! Quim (à Joan): Il y a longtemps que tu es avec cette harpie? Joan: Trop longtemps. Aussi, tout ce que je demande, maintenant, c'est d'aller voir ailleurs! Margot: Toi, tais-toi, bon à rien! Autrement tu recevras une paire de claques au coin du nez! Quim: Allons, ça suffit! Arrêtez! Vous savez, les chiens aboient mais la caravane passe! Dans la vie il faut savoir faire des concessions! Pau (en aparté, vers le public): Ça fait rien! Il parle bien, mon ami! Scène VII (Pau, Quim, Margot, Joan, la Secrétaire, Flabiol). Pau: Tiens, voici le rapide... le Talgo qui vient de Cervère... La Secrétaire: Silence, s'il vous plaît! Vous vous croyez peut-être dans un meeting politique? Asseyez-vous! Quim: Je pense qu'elle est enfin disposée à s'occuper de nous! Pau: Oui, à moins qu'elle n'ait besoin d'une règle! La Secrétaire: Silence! Margot: Moi j'ai à faire une réclamation! La Secrétaire: Vous, ici, vous n'avez rien à faire et rien à dire! Vous avez à écouter! Et puisque vous êtes pressée, on commencera par vous! Margot (en aparté): Vous l'entendez, cette catin? (À la Secrétaire) Puisque vous êtes comme ça, je ne vous dirai rien du tout... là! La Secrétaire: Je n'en ai nul besoin! Nous connaissons tout, sur vous! Je jette juste un coup d'oeil sur le livre. (Elle l'ouvre et lit) Bien, je vois de quoi il s'agit. Ne perdons pas de temps! (Elle appelle) Flabiol! Flabiol! Flabiol (entrant): J'arrive! La Secrétaire: La porte rouge pour madame! Pau: C'est là qu'on fait les retouches à la robe! Margot: C'est une honte, çà! Ça c'est expédié! Je veux voir saint Pierre... La Secrétaire: Saint Pierre? Dieu seul sait où il est! Mais c'est lui qui vous a inscrit sur le livre! (Flabiol l'accompagne. Elle résiste). Flabiol: Allons! Allons! Nous disions, direction la porte rouge (Margot sort. On entend le rire du diable). Pau: On ne tardera pas à sentir le roussi! Joan: Oh, bienheureux saint Ferréol! Je suis enfin délivré de cette peau de vache! Quim: Vous croyez, vous, qu'on parviendra à la brûler, cette furie, en enfer? La Secrétaire: Silence. Au suivant! (À Joan) Tiens, vous, l'homme! Vous semblez bien content! Pau: Comment! Comment! Les derniers arrivés passent d'abord? La Secrétaire: Vous, ne m'échauffez pas les oreilles, ou ce sera pire. (À Joan) Je vous parle, eh, l'Apollon du Belvédère! (Elle ouvre le livre) Numéro 2 303 407, série B, Classe X, 66... Je vois... Voyons s'il y a des circonstances atténuantes? Oui. 2 000 ans de Purgatoire. Porte rose et n'en parlons plus! Flabiol! Porte rose. Joan: J'ai de la chance! Dieu merci, je ne verrai plus cette chipie! Flabiol: Vite! Dépêchons! Porte rose! (Il sort avec Joan). Pau: Pif! Paf! Vous avez vite fait de laver et de rincer, vous! Il n'y a pas le feu! Quim: Pau a raison! Vous faites çà à vue de nez, vous! Vite fait, vite enveloppé! Pim! Porte verte! Pam! Porte rouge! Mais non, mais non, on ne marche pas, nous! Pau: Moi, je demande un avocat! Quim: On veut pouvoir se défendre! Qu'est-ce que c'est que ces jugements à la noix? Mais c'est pire qu'en bas, ici! La Secrétaire: Vous avez fini? Vous vous êtes soulagés? Eh bien vous attendrez un peu plus. Il faut que je voie saint Pierre! Pau: Très bien. Dites-lui qu'il y en a deux ici qui voudraient le voir! (La Secrétaire hausse les épaules et sort). Scène VIII (Pau, Quim et la voix du diable) Quim: Merde, Pau! Je crois qu'on ne s'en sortira pas brillamment, cette fois! Pau: Tu me connais, si elle continue à faire l'imbécile je vais lui fiche une châtaigne à lui faire cracher toutes ses dents! Quim: Il ne manque que ça pour finir d'arranger nos affaires! Elle nous regarde déjà en chien de faïence! Pau: Si je m'étais douté de tout ça, je t'assure que je me serais tenu coi, en bas! Quim: Il est bien temps! Pourtant, si elle lit bien, cette Secrétaire, elle verra bien qu'il y a pire que nous! Pau: Il faudra qu'on lui nettoie avec soin ses lunettes, parce que le bien qu'on a fait ne doit pas occuper des pages! Quim: Mon bon Pau, je crois bien qu'on sera bons pour la porte rouge! (On entend un gros rire, puis une grosse voix: Ah, ah, ah!). La Voix du diable: Ah, ah, ah! Mes petits amis! Il y a longtemps que je vous attends. C'est sûr que vous aurez droit à ma porte! Ah, ah, ah! Quim: Pau, tu as entendu ce que j'ai entendu? Pau: Oui, Quim! J'ai entendu ce que tu as entendu! Quim: Mes cheveux se sont dressés sur ma tête! Pau: Moi j'ai la chair de poule partout! Quim: J'ai froid dans le dos! Pau: Il ne nous a pas à la bonne, celui-là! Nous sommes propres! Scène IX (Pau, Quim, Flabiol) Flabiol (il entre): Bon. Pendant que la Secrétaire est occupée, on va aller voir ce que font vos épouses, en bas. Quim: Parfait. Mais dis, Flabiol, tu as entendu ce qu'il nous a dit, Satan? Flabiol: Ne l'écoutez pas! Il voulait vous faire peur! Pau: Il a réussi! J'en tremble encore! Flabiol: Dépêchons-nous. Si Angela revenait, elle m'engueulerait comme du poisson pourri! (Flabiol s'approche de l'appareil). On commence par qui? Par Pau? Pau: Si vous voulez. Mais comment il marche, cet engin? Flabiol: C'est très simple. Tu pousses une touche, tu regardes dedans et tu appelles: Treseta! C'est tout. Excusez-moi, j'ai du boulot. Vous vous en tirerez seuls! (Flabiol sort. Pau pousse une touche et on entend la voix de Léon Zitrone qui commente le tiercé). Quim: Mais Pau, ça ne va pas? Tu te trompes de chaîne. C'est pas la bonne touche. (Quim presse une autre touche et on entend le commentaire de Roger Couderc sur le Tournoi des Cinq Nations. Pau et Quim se disputent). Pau: Andouille! Il faut pousser la touche Paradis-Terre. Regarde (Il regarde. Silence). Treseta! Treseta! Il y a du brouillard! Il y a des parasites dans cette télé. Essayons de ce côté: Treseta! Treseta! C'est moi, Pau! Je la vois! Quim! Je la vois, ma Treseta! Mais... que... que (il bégaie)...que fait-elle? Mais je... je croyais qu'elle était désespérée! Tu sais ce qu'elle fait, Quim? Quim: J'attends que tu me le dises! Pau: Oh, la garce! La garce! Elle ne perd pas de temps! Le chameau! La charogne! Je ne regrette plus les raclées que je lui donnais! Quim: Mais que diable fait-elle? Pau: Ce qu'elle fait? Si j'y étais, je t'assure que je la ferais valser, tu peux me croire! L'effrontée! Et cela dans ma propre chambre! Et même avec mon propre pijama en soie bleue! Ça, j'aurai du mal à le digérer! Quim (qui essaie de voir): Tu me le diras, ce qu'elle fait, oui ou non? Pau: Ce qu'elle fait? Ce qu'elle fait, la gourgandine? Elle est avec Baptiste, et ils ne s'ennuient pas! Quim: C'est-y Dieu possible? Pau: C'est certain: je le vois de mes propres yeux! Et ce ne doit pas être nouveau! Et moi, pauvre imbécile, qui ne me méfiais de rien! Éteignons, j'en ai assez vu! Quim: Je ne veux pas manquer ce spectacle, moi! Laisse-moi admirer cette séquence, comme on dit au cinéma! (Quim veut voir mais Pau le tire en arrière. Quim a pu voir pourtant une image). Dis donc, dis donc! Ça vaut le cinéma de Perpignan, ça! On pourrait le commercialiser comme film érotique ... et comique. Excellent! Voilà un gros plan magnifique! Pau: Ça suffit! Là! Il ne faut pas rire du malheur d'autrui! Arrête ou je te fiche une claque! Quim: Laisse tomber, Pau! Si tous les cocus avaient des clarines, ça ferait un beau vacarme sur Terre! Pau: Ça ne fait rien! Il faut reconnaître que les taloches qu'elle recevait, Treseta, elles étaient méritées! À ton tour, Quim! Il me tarde de voir ta Rosina. Là, ne te trompe pas de touche. Quim (enfonce une touche et regarde): Rosina! Ro...si...na! Rosinette! C'est ton Quimet! Ton cher petit chat! J'y vois rien! On dirait qu'il pleut au Pont de Céret! Rosina! Rosina! Rosinol! Ça vient, ça vient, Pau! C'est bien elle, toute en noir! Ma pauvre Rosina! Je n'aurais pas cru! Pau: Qui est ce greffier? Elle fait comme Treseta? Quim: Je n'aurais pas cru! Pau: Pas cru quoi? Mais parle donc! Quim: Je n'aurais pas cru qu'elle m'aimait tant. Elle est désespérée, la pauvre! Comme elle pleure! Une Magdeleine! Tu me fends le coeur, chérie! Arrête de gémir! Mais, mais, et l'autre? C'est trop fort! Pau: Quel autre? Ca l'étonnait qu'il n'y en ait pas un... Quim: Mais non, Pau! C'est cette peau de vache de ma belle-mère! Si tu la voyais! Elle est aux anges! Oh, son sourire! Elle calcule ce que Rosina va palper avec mon assurance-vie! Et l'argent qu'elle va trouver à la banque! Elle ouvre une de ces gueules! Elle salive! Pau: D'accord, c'est moche, mais pas autant que pour moi! Rosina, elle pleure, alors que Treseta, elle s'en paie une tranche! Il lui tardait de se débarrasser de moi! Et c'était avec Baptista, cet âne bâté! Je comprends, maintenant pourquoi il était mon ami, pourquoi il était toujours là. Quim: Pauvre Rosina! Pau: Maudite Treseta! Qu'elle aille au diable! Quim: Pauvre Rosina, je suis tout remué. Pau: Et moi, donc! Au lieu des ailes, il faudra que je demande une bonne paire de cornes, moi! TROISIÈME ACTE Scène I (La Secrétaire, Flabiol, Roseta) La Secrétaire (seule): On ne le dirait pas, mais le travail de bureau est terrible! Heureux ceux qui manient la pelle et la pioche! Toujours dans les chiffres, toujours enfermée dans un bureau, ça use une personne en un rien de temps! C'est reconnu sur Terre: si on donne la retraite à cinquante-cinq ans aux employés de bureau c'est qu'on sait bien qu'à cinquante-cinq ans on est quasiment fichus. On vieillit avant l'heure, à faire courir le porte-plume (Un silence). Bon, et si on se mettait au travail? (Elle s'étire). Il me faudra changer de stylo: celui-là est trop lourd! (Elle ouvre le livre, tourne les pages). Faut y aller. Et mon crayon... Bon sang, il a la pointe cassée... (Elle pointe son crayon). Flabiol (il entre, traînant mademoiselle Roseta par le bras): Madame la Secrétaire générale, regardez ce que j'ai trouvé! La Secrétaire (levant les yeux): Et alors, Flabiol, c'est Roseta! Qu'y a-t-il d'étonnant? Flabiol: Vous ne remarquez pas? Elle a fleuri son auréole! La Secrétaire: Mais c'est vrai, ça! Vous n'y pensez pas, Roseta? Fleurir son auréole, c'est un péché! C'est de la coquetterie! Si saint Pierre vous voit, il y aura de l'orage dans l'air. Flabiol: Mais c'est pas tout! Vous ne remarquez rien d'autre? La Secrétaire: Quoi donc? Qu'y a-t-il encore, mon bon Flabiol? Flabiol: Attention! Il faudra surveiller ces yeux! Vous n'avez pas vu comment Roseta a raccourci sa robe? La Secrétaire: Mais, c'est vrai! Flabiol: Elle n'y est pas allée de main morte! Encore un peu et on verrait son... La Secrétaire: Petite malheureuse! Qu'est-ce que vous avez dans la tête? Roseta (attrapée): Mais, c'est la mode! La Secrétaire: Ah! c'est la mode? Je vais t'en fiche de la mode, moi! Flabiol, allez chercher saint Pierre! Cette affaire-là n'est pas de mon ressort! Flabiol: J'y vais de ce pas! Saint Pierre doit être dans son bureau! Roseta: Ça ne vaut pas la peine de déranger saint Pierre! Il me grondera! La Secrétaire: Vous croyez que vous ne le méritez pas? Vous montrez vos jambes! Que dis-je, vos jambes: vos cuisses! De montrer tout ce que vous avez comme vous faites, vous croyez que saint Pierre vous félicitera? Roseta: C'est sûr que je ne serai pas sourde! Pourtant je n'ai pas pensé à mal, moi! La Secrétaire: Saint Pierre en jugera! Scène II (Les mêmes, plus saint Pierre) Saint Pierre (il entre avec Flabiol): Dieu vous garde! Tous: Dieu vous garde, saint Pierre! Saint Pierre: Et alors, Roseta, qu'y a-t-il? Flabiol: Vous ne voyez pas, monsieur saint Pierre, que Roseta a fleuri son auréole et qu'elle a raccourci sa robe de beaucoup, qu'elle a coupé presque au-dessus de la ceinture? Saint Pierre (met ses lunettes): Oh! Oh! Jésus, Marie, Joseph! Cela, ma petite, ce n'est pas joli. Flabiol: On ne peut pas dire que ce n'est pas joli, mais cela ne se fait pas! Saint Pierre: Allons, Flabiol, un peu de tenue! Flabiol: Il faut punir, sinon, toutes feront pareil, les jeunes et les moins jeunes. Pour ce qui est des jeunes, passe encore! Mais les vieilles, avec leurs cuisses comme des jambons et bourrées de cellulite, il serait joli, le Paradis. Saint Pierre: La question n'est pas là, Flabiol! (À Roseta) Toi, ma petite, va recoudre le morceau de robe qui manque! Roseta: Mais, monsieur saint Pierre, c'est que je l'ai jeté, le morceau! La Secrétaire: Et voilà! Allons-y gaiement! On jette tout par-dessus bord, tout à la poubelle! Voilà bien la société de consommation. Il va falloir faire comme dans le temps, économiser! Je vous le dis, monsieur saint Pierre, il y a trop de gâchis, de nos jours! Il faut arrêter ça! Saint Pierre: Un peu de silence, s'il vous plaît! Secrétaire, allez habiller cette petite. Une autre robe. La Secrétaire: C'est ça! Une robe neuve. Au prix où sont les choses! Avec une augmentation des prix de 95 %. Avec un tel gâchis, comment pourra-t-on arrêter l'inflation! Pensez que l'entretien du feu de l'enfer coûte une fortune, au prix où est le pétrole! Saint Pierre: Du calme, j'ai dit. Emmenez Roseta, arrangez son auréole et donnez-lui une robe neuve. La Secrétaire: Allons, venez! Petite malheureuse, propre à rien (Elle emmène Roseta par le bras). Propre a rien! Saint Pierre: Assez! Pour cette fois, je te pardonne, Roseta. C'est une erreur de jeunesse. Tu diras dix pater et dix ave. Roseta: Mille fois merci, monsieur saint Pierre! Vous êtes trop bon pour moi! (Elle sort avec la Secrétaire). Flabiol: Il faut dire qu'elle a de bien jolies jambes! Saint Pierre: Allons, Flabiol. Vous vous croyez à "L'Incognito"? Flabiol: Excusez-moi, saint Pierre! On n'est pas de marbre! Scène III (Saint Pierre, Flabiol et deux angelots) (Les deux angelots entrent, les ailes cassées, l'auréole de travers, la robe déchirée. L'un d'eux a même un oeil au beurre noir). Premier angelot: Sale "franchiman"! Répète-le que le catalan est un patois! Deuxième angelot: Oui, bien sûr! Premier angelot: Tiens, attrape ce marron. Il te fera comprendre, peut-être, que le catalan est une véritable langue. Flabiol: Vous n'avez pas honte de vous battre comme des brutes? Saint Pierre (remettant ses lunettes): Vous voilà bien arrangés! Qu'y a-t-il? Pourquoi vous êtes-vous battus? Premier angelot: C'est lui qui a commencé. Il a dit que le catalan est un patois. Saint Pierre: Il a dit cela? Il a dit que le catalan est un patois? Premier angelot: Oui! C'est pourquoi je lui ai donné deux claques. Saint Pierre: Je crois que tes claques ont été un peu fortes. Son oeil me dit que tu as frappé avec le poing! Premier angelot: Il le méritait bien. Le catalan est une langue, c'est pas un patois! Saint Pierre: Tu as raison, mon enfant! Le catalan est une langue! C'est même une langue qui ne mourra jamais! Il y a plus de neuf millions de personnes qui parlent catalan, vous le savez? C'est vrai que parfois ils l'estropient aussi un peu, mais elles le parlent. Flabiol: Et le français, on ne l'estropie pas souvent, en parlant? Quelqu'un qui voulait briller m'a dit une fois: "Je me suis fichu une fart de cerises à rebenter!" Vous croyez que c'est joli, ça? Vous croyez qu'il ne vaudrait pas mieux qu'il parle bien le catalan plutôt que ce français boiteux-là? Saint Pierre (au premier angelot): Le catalan est une langue si belle que nous savons tous la parler, ici. Premier angelot (au deuxième): Tu vois! Je te l'avais dit! Saint Pierre: Ne recommencez pas à vous battre. Ce n'est pas en vous battant comme des chiffonniers que vous vous mettrez d'accord. Flabiol: Regardez sur Terre: on se bat souvent, et on n'arrange jamais rien. Deuxième angelot (un bandeau sur l'oeil): Ils sont fins! Quand ils auront un oeil au beurre noir comme moi, ils se calmeront. Saint Pierre: Allez, Flabiol, allez rafistoler ces deux joyeux drilles. Et, vous deux, n'y revenez pas, autrement je serai obligé de vous tirer l'oreille! Flabiol: Je les accompagne jusqu'à la porte. Ils se débrouilleront pour aller, seuls, à l'infirmerie. Allez, disparaissez! (À saint Pierre). Ah, monsieur saint Pierre, j'oubliais. Je dois vous faire part de quelque chose d'important! Saint Pierre: Il y a quelque chose qui ne va pas, Flabiol? Flabiol: C'est une réclamation du Roussillon! Saint Pierre: Une réclamation du Roussillon? Flabiol: Oui. Le Roussillon se plaint de la tramontane! Saint Pierre: Ça, ce n'est pas mon affaire! Adressez-vous à saint Gaudérique. C'est lui le maître du temps! Flabiol: Je sais bien, mais saint Gaudérique est malade! On devra probablement l'opérer de la prostate! Saint Pierre: De la prostate? Alors ils n'ont pas fini d'attendre la pluie, sur la terre, si saint Gaudérique a la prostate. Flabiol: C'est pour ça qu'on m'a dit: "Parlez-en à saint Pierre. Saint Pierre: Et allons donc! Comme si saint Pierre n'avait pas assez de boulot avec les entrées. Il a bon dos, saint Pierre! Flabiol: Il vous faudrait une secrétaire intelligente et jolie! Saint Pierre: Allons, allons, Flabiol! Vous dites des sottises. Vous ne serez jamais sérieux. Mais pour le Roussillon, qu'est-ce qui ne va pas? De quoi se plaint-on? C'est la région la plus belle de la France, avec un climat comme on n'en fait plus... Et on se plaint? Vous n'entendrez pas les Belges se plaindre, eux qui bientôt auront acheté les trois quarts du pays! Et la tramontane, qu'est-ce qu'elle a encore fait? Flabiol: Les cent coups! Saint Pierre: Ça ne m'étonne pas! Quand elle est mal lunée, c'est toujours pareil! Elle ne se souvient plus, cette tramontane, qu'on l'a mise en Roussillon juste pour nettoyer le ciel de la brume et des nuages. Pour que le Roussillon ait toujours le ciel bleu que tout le monde aime! Flabiol: Il vous faut un peu la gronder, parce que cette fois elle a dépassé les bornes! Si vous voyiez les dégâts! Les tuiles, les toits, les contrevents, les cheminées des villages du Vallespir sont maintenant au bord de la mer. Et les villages du bord de mer, si vous les voyiez! On dirait qu'ils ont été écorchés. Tout y est sens dessus-dessous! Et en Salanque? Il faudrait voir comment elle est, la Salanque! Il y a même un clocher du Capcir qui est allé se perdre dans la Salanque. Oui, elle s'est dépassée, cette fois, la tramontane! Il ne faut pas le permettre! Il ne faut pas lui passer ces caprices. Saint Pierre: Quand saint Gaudérique saura cela, il sera furieux. Il lui tirera les oreilles d'importance. Flabiol: Elle a trop de caquet, la tramontane. Saint Gaudérique lui laisse faire ce qu'elle veut! Elle a besoin d'un bon rappel à l'ordre! Saint Pierre: Flabiol, tu n'as pas besoin de me dire ce que je dois faire! Va chercher la tramontane, on saura bien ce qui est arrivé. Flabiol: Tiens, justement la voilà, la tramontane. Vous l'entendez souffler? (on entend un grand vacarme). Scène IV (Saint Pierre, Flabiol, la tramontane) Flabiol: Maintenant, après ses méfaits, madame pleurniche? Saint Pierre (fâché): Et alors, que me dit-on? Tu as fait des tiennes, en Roussillon? Tu mériterais la fessée! Qu'est-ce qui te prend, de temps en temps? Tramontane (toute attrapée): Je vous demande pardon! Je ne le ferai plus! C'est que je suis amoureuse! Saint Pierre: Qu'est-ce? J'ai mal entendu? Tu es amoureuse? La tramontane est amoureuse? On peut savoir de qui? Tramontane: Du vent d'Espagne! Saint Pierre: Sainte Vierge! La tramontane amoureuse du vent d'Espagne! Qui s'en serait douté! Tramontane: Il n'y a pas de mal à être amoureux! Saint Pierre: Bien sûr que non! Mais est-ce que saint Gaudérique est au courant? Tramontane: Il n'en sait rien. Et je vous prie de ne rien lui dire. Il ne serait pas content! Saint Pierre: Et c'est parce que tu es amoureuse du vent d'Espagne que tu dois retourner le Roussillon comme une chaussette? Tramontane: Mon bon saint Pierre. Je crois que Flabiol en a rajouté! Flabiol: La fessée! La fessée! Saint Pierre: Vous, fermez-la! (À tramontane). Je répète ma question: pourquoi? Tramontane: Eh bien... c'est parce que le vent d'Espagne... le vent d'Espagne ne m'aime pas! Saint Pierre: Ah, ça c'est autre chose! Et comment tu le sais? Tramontane: Chaque fois que je montre mon nez vers Fontfreda ou le Neulós, il s'enfuit en Espagne! Je suis bien malheureuse, saint Pierre! L'autre jour ça s'est encore produit et, dépitée, j'ai passé ma colère sur le Roussillon. Saint Pierre: Ça, c'est mal! Si tous les amoureux faisaient comme toi, où irions-nous? Tu mériterais... Flabiol: Une paire de baffes bien appliquées! Saint Pierre: Flabiol! S'il vous plaît! Vous ne voyez donc pas que tramontane a de la peine? Vous ne voyez donc pas qu'elle regrette? Tramontane (pleurnichant): Je vous demande, saint Pierre, d'intercéder pour que je puisse me marier au vent d'Espagne! Je vous le demande à genoux! Saint Pierre: Je te promets de faire l'impossible pour que cette union se réalise! J'en parlerai à saint Gaudérique! Mais dorénavant évite tes mouvements d'humeur! Tramontane: Je vous le promets, bienheureux saint Pierre, et mille mercis pour votre bon coeur! Flabiol: Eh bien, je plains le Roussillon! Si on ne parvient pas à les mettre d'accord, ces deux-là, la tramontane et le vent d'Espagne, on n'a pas fini de remplacer les tuiles en Roussillon! Scène V (Flabiol, Pau, Quim, la Secrétaire générale. Flabiol reste seul, puis les autres entrent). La Secrétaire: Bien, entrez. On va s'occuper de vous! Pau: Ce ne sera pas trop tôt! Trop c'est trop, et je sens que je vais prendre la mouche! La Secrétaire: Comme vous avez la langue longue, on va commencer par vous. Pau: Ne vous donnez pas la peine d'ouvrir votre livre! Ouvrez-moi la porte rouge et n'en parlons plus! La Secrétaire: Taisez-vos. Vous parlerez quand je vous donnerai la parole. Voyons! Vous êtes le numéro 25 398, série X, classe Qu, Qu 66? Voyons voir! Ah, mais! Ah, mais! Ah, mais! Pau: Quoi? Que veut-elle dire? Ah, mais! C'est les agneaux qui font ça! La Secrétaire: Attendez. Vous rossiez votre Treseta, mais vous n'aviez pas tout à fait tort! Ah, elles étaient belles, vos cornes! Plus longues que celles du bélier d'un troupeau! C'étaient de bien belles cornes, en vérité! (Elle crie) Flabiol! Flabiol! Porte rose... pour 2000 ans! Pau: Ça alors! Si je m'attendais à ça, moi! Vous êtes une brave femme, au fond! La Secrétaire: Non, mon ami: vous n'avez pas un traitement de faveur: les cocus sont tous envoyés à la porte rose! Passons à Quim! Quim: Tu peux prier pour moi, Pau. La Secrétaire (elle lit): Quim Despullabelitres! Numéro 465 270 001, série A, classe K, K 66. Quim: Présent! La Secrétaire (elle lit): Oh! Oh! Oh! Quim! C'est pas joli, joli, ça! Vous faisiez comme Pau, vous leviez un peu trop le coude, hein? De plus vous n'étiez pas très honnête dans votre métier! Et vous oubliiez pas mal de revenus dans votre déclaration d'impôts! Oh, mais! Oh mais! Il y a aussi une histoire de jupons! Quim: Dites, Secrétaire, vous croyez qu'il faut en parler? Passons! Passons! La Secrétaire: Le temps se gâte, Quim! Le temps se gâte! Pau (à Quim): Aïe, aïe, Quim! Tu es bon pour la porte rouge! La Secrétaire: Attendez, Quim! Mais que vois-je sur le registre: vous avez vécu vingt-cinq ans avec votre belle-mère chez vous? Quim: Bien sûr! Pourquoi? La Secrétaire: Vingt-cinq ans poursuivi par votre belle-mère? Quim: Bien sûr, pauvre de moi! La Secrétaire: Mais ça change tout! Si vous avez supporté votre belle-mère pendant vingt-cinq ans, malheureux, vous avez gagné le ciel! Vous avez passé l'enfer sur la Terre! Oui, votre place est désormais au ciel! Quim: Au ciel! Glorieux saint Ferréol! Pau, tu as entendu ce que j'ai entendu? Pau: Oui, Quim, j'ai entendu ce que tu as entendu! La Secrétaire (elle crie): Flabiol! Flabiol: À votre service! La Secrétaire: Apportez les ailes et l'auréole pour Quim! Flabiol: Pour Quim? La Secrétaire: Oui, pour Quim, qui était un martyr en bas! Pau (à Quim): Il doit rire jaune, le type de la porte rouge! Quim: J'en tombe à la renverse, Pau. Tu peux me croire! (Ils s'embrassent). Dites-moi, madame Angela, je vous demande un petit service: rendez-moi mon volant! La Secrétaire: Vous voulez en faire des conserves? Ne vous inquiétez pas, votre cher volant sera exposé au salon permanent, à l'entrée de l'enfer! Scène VI (Pau, Quim, Flabiol, la Secrétaire, les deux angelots) Flabiol: Quim, c'est avec grand plaisir que je te mettrai les ailes et l'auréole... C'est avec grand plaisir que j'ouvrirai la porte verte pour toi! La Secrétaire: Il faut savoir que cette porte verte, si ma mémoire est bonne, est fermée depuis dix ans! (On entend une musique d'apothéose. C'est la scène du couronnement et de la glorification de Quim: la Secrétaire, les angelots et Flabiol mettent les ailes et l'auréole à Quim. Tous sont en admiration). Pau (il siffle): Tu es beau, va, Quim! Quim (fier): Il n'y a qu'une chose que je regrette, Pau! Tu sais ce que c'est? Pau: Tu vas me le dire. Quim: Je regrette que ma belle-mère ne me voie pas! Peut-être ne saura-t-elle jamais que c'est grâce à elle que je suis un saint: saint Quim! Tous: Vive le glorieux saint Quim! Scène VII (Pau, Quim, Flabiol, la Secrétaire, les deux angelots, saint Pierre. Saint Pierre entre, trois grandes clés à la main). La Secrétaire: Comme vous voyiez, monsieur saint Pierre, nous aussi nous avons notre vedette: saint Quim Despullabelitres. Pour l'éternité! Saint Pierre: Enfin! Je suis heureux de voir qu'il y en a un qui passe la porte verte sans passer avant par la porte rose! Flabiol, voici la clé. Ouvrez la porte à saint Quim! (On entend de la musique douce). Flabiol: Pourvu que la serrure ne soit pas rouillée, depuis le temps qu'on ne l'a pas ouverte, cette porte! Pau: Il ne manquerait que ça! On ne pourrait pas la graisser, de temps en temps, cette porte? Avec de la graisse de blaireau? Quim: On l'ouvrira d'une manière ou d'une autre! Même s'il faut employer un pétard! Pau: D'accord, mais où trouvera-t-on les "boudins" agricoles pour la faire sauter, ici? Quim: Si on ne trouve pas les "boudins", comme tu dis, on prendra un chalumeau! (Flabiol n'a pas pu ouvrir la porte). Saint Pierre: Ne faites pas de l'esprit bon marché sur des choses aussi sérieuses! Flabiol, allez chercher tous les nouveaux arrivés. Flabiol: J'y vais! (Il va au fond de la scène et crie). Allons, venez tous, saint Pierre vous appelle. (Tout le monde entre, Belota aussi). Vous êtes toujours là, Belota? Comment ça se fait? Vous n'êtes pas redescendue? Belota: Saint Pierre m'a fait remonter! Il a été gentil! Ceux d'en bas, je ne les envie pas! Margot: Moi, j'y étais très bien! Saint Pierre: Bien, vous venez d'arriver, soyez les bienvenus! Le monde est ainsi fait: les uns, (comme Belota) viennent avec plaisir, les autres viennent en râlant! Margot: Moi je ne râle pas, je rage! Si je pouvais redescendre, je ne me ferais pas prier! Pau: Moi, non plus! Pour le plaisir de ficher une raclée à Treseta. Saint Pierre: Silence! Il est bien temps de se lamenter! Si vous faisiez attention sur terre, si vous étiez moins pressés, vous n'arriveriez pas les uns sur les autres, ici! Surtout en fin de semaine, les jours de fête ou pour les vacances! Et ce n'est pas tout. Il y a trop d'orgueil, trop de vanité, trop de mensonges, en bas! L'argent pourrit tout! Mais revenons à la circulation. Si vous ne vouliez pas doubler les autres, si vous faisiez plus attention sur la route, si vous alliez plus lentement, si vous ne passiez pas comme des éclairs dans un ciel serein, si vous n'aviez pas le feu au derrière... beaucoup d'entre vous seraient encore en bas! Pau: Tu vois, Quim! Cornichon, va! Maintenant on l'a devant, le feu! Saint Pierre a raison! Quim: Bien sûr qu'il a raison! Je désire que mon cher volant, qui sera exposé ici, serve de leçon aux autres! Saint Pierre: Ces mots me plaisent, saint Quim! Je veux encore dire autre chose: si on continue, sur la Terre, à tout polluer, vous verrez qu'on sera bientôt a l'étroit, ici. Flabiol: On sera serrés comme des anchois! Saint Pierre: Exactement! En outre on entend depuis quelques temps, en bas, un bruit de bottes et d'armes qui ne me plaît pas du tout. Si, par malheur, une guerre éclatait, on manquerait vite d'espace vital ici aussi! Flabiol: Ne me faites pas peur, saint Pierre! J'ai assez de boulot, moi! S'il y avait davantage d'arrivées, il me faudrait une aide! Saint Pierre: Espérons, Flabiol, qu'on n'en aura pas besoin. Espérons qu'en bas il y aura un peu plus de bon sens! Espérons qu'on jettera les armes au feu! Mais tout ça, ça sent le pétrole, Flabiol! Flabiol: Ça sent les pétrodollars! Saint Pierre (au public): En attendant, laissez les autos au garage! Réapprenez à marcher, à respirer l'air parfumé d'oeillets sauvages des cimes de nos montagnes, apprenez à déchiffrer les messages des coucous et des rossignols, et reposez-vous au bord de nos fraîches fontaines! C'est alors que vous découvrirez les beautés du Paradis terrestre. FIN
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