Les
hôtes du bois des pinsons et ceux du pré aux anges savent fort bien que Pépie
et Fredaine sont de joyeux drilles !
Fredaine
donc, ce jour là, ivre comme est souvent Grisette la grive coutumière du fait,
revenait des vignes de la vallée où les vendanges battaient leur plein. Il
avait goûté le jus de toutes les comportes alignées le long de la vigne du Père
Grenache, le vieux vigneron. Et comme d’habitude, après ses libations, Fredaine
volait d’un vol lourd, hésitant, zigzaguant et heurtant très souvent le tronc
d’un châtaignier en s’excusant chaque fois très poliment.
La
vue obscurcie par l’ivresse, incapable de s’orienter, tamponnant de plus en
plus les troncs des châtaigniers, il décida de s’arrêter ! Il se cacha
dans la corolle d’une campanule sauvage et s’endormit ! Il était quasiment
ivre mort Fredaine ! Un jour ou l’autre, notre ivrogne mourra, l’alcool le
tuera ! Il mourra victime de sa passion pour le jus de raisin ! Il
mourra dans d’affreuses souffrances.
Il
fut réveillé par un bruit inhabituel au bois des pinsons ! C’était un
roulement sourd, c’était un long craquement ou plutôt un martèlement continu,
un bruit sinistre !
Fredaine
risqua un coup d’œil du haut de son perchoir, ce qu’il vit, dissipa sur le
champ son restant d’ivresse.
Complètement
dessoûlé, tout à fait lucide, il vit, marchant en rangs serrés, des centaines
de fourmis, d’affreuses fourmis guerrières, marchant en direction du pré aux
anges, dévastant tout sur leur chemin, attaquant les petites fourmilières se
trouvant sur leur passage, tuant les défenseurs et emmenant les fourmis
ouvrières pour en faire leurs esclaves, pillant les stocks de nourriture amassés péniblement en
prévision des longs mois d’hiver.
Fredaine
connaissait par ouï-dire ces fourmis, il savait qu’elles étaient fainéantes et
cruelles, ne pensant qu’à se battre, piller et tuer ! Il vit avec effroi
la puissance de leurs mâchoires, l’efficacité de leurs carapaces protégeant
leur corps ! Il constata la barbarie avec laquelle elles attaquaient les
petites fourmilières quasiment sans défense et tuaient sans raison, sauvagement
tout insecte , quel qu’il soit, se trouvant sur leur chemin.
Effrayé, paniqué, Fredaine comprit que cette armée
bien entraînée, sans pitié et sans foi ni loi, cette horde sauvage était en
marche vers la fourmilière du pré aux anges ! L’immense fourmilière, avec
ses énormes réserves de vivres, son grand nombre de pucerons domestiqués,
d’innombrables fourmis ouvrières et une armée certes courageuse, mais beaucoup
moins nombreuse, moins bien organisée et surtout moins bien armée pour pouvoir
s’opposer à celle qu’il voyait défiler du haut de sa campanule.
La fourmilière du pré aux anges risquait
l’extermination, et Aggripine, la jeune fourmi, sa délicieuse amie et toutes
les autres fourmis risquaient de perdre la vie ou du moins la liberté.
L’armées des envahisseurs, était tout au plus à
deux heures de marche du pré aux anges, il fallait faire vite, prévenir tous
les hôtes du pré aux anges, préparer, organiser la défense de la
fourmilière ! Fredaine fonça !
Fredaine est un ivrogne, mais c’est aussi un frelon
courageux et prêt à donner sa vie pour la communauté !
C’est complètement épuisé, à bout de force, qu’il
arriva au pré aux anges et se laissa tomber sur la branche, devant la grosse
écorce abritant Dame Chansonnette, la cigale préposée par la communauté pour
donner l’alerte en cas de danger. Fredaine eut le temps de signaler à
Chansonnette le très, très grave danger avant de s’évanouir, vaincu par la
fatigue et l’émotion.
Dame Chansonnette sans attendre, donna l’alerte, .....
et
Guilleret le gentil écureuil qui habite comme on le sait, juste en dessous,
partit, sautant de branche en branche, voltigeant comme un vrai acrobate,
avertir Fourmiguète, la fourmi chef de l’armée, chargée de défendre la
fourmilière.
La petite armée, décidée à se défendre jusqu’à la
mort, prit position sur le bord du petit ruisseau bordant le pré aux anges,
c’était la meilleure ligne de défense.
L’armée des assaillantes, aurait fort à faire pour
traverser le ruisseau, car il était impossible qu’elle aille faire le détour,
c’est-à-dire remonter jusqu’à la source et redescendre sur l’autre bord, il
fallait donc l’attendre là.
Chansonnette fût envoyée en reconnaissance et
constata avec terreur que les fourmis guerrières avaient bien pris la direction
du pré aux anges.
…/
Et comble de malheur, sur le chemin du retour, elle
crut mourir, Chansonnette, en voyant qu’une grosse branche d’un très vieux
châtaignier atteint par la foudre au cours d’un orage était tombée en travers
du petit ruisseau et cela un peu en aval du pré aux anges. Cette branche
pensa-t-elle, ainsi posée, ferait sûrement office de pont et l’armée ennemie
l’emprunterait pour traverser sans difficulté le ruisseau, pour prendre à
revers la petite armée de la communauté et l’anéantir.
Les cruelles fourmis, encore une fois, vaincraient
et asserviraient de paisibles et travailleuses fourmis !
Le mal encore une fois aurait raison du bien !
Une communauté qui n’aspirait qu’à travailler et
vivre en paix, une communauté tranquille, pas belliqueuse du tout, allait être
la proie facile de cette horde sauvage venue d’ailleurs !
Cette branche malencontreusement tombée là, en
travers du petit ruisseau, favoriserait le dessin de cette armée sortie des
enfers ! La fourmilière du pré aux anges serait dévastée, pillée,
rasée ! Aggripine et ses sœurs mourraient ou seraient emmenée en
esclavage, et Noirot le grillon, et Margoton la vieille chenille et même
Fenlevent le doux escargot, périraient aussi !
Dame Chansonnette, comprenant le grave danger, se
hâtait ! Mais que pourrait-on faire ?
C’était une trop grosse et trop
lourde branche, on ne pourrait hélas la déplacer pensait-elle, comment arrêter
ces fourmis guerrières ?
C’est à l’orée du bois des pinsons que Chansonnette
aperçut Pépie butinant joyeusement des fleurs sauvages !
Pépie, l’intrépide papillon, Pépie le dur à cuire,
mis au courant de la situation par Chansonnette tremblant de frayeur,
réfléchit, puis donna ordre à Chansonnette de ne pas alarmer davantage les
autres, la rassura, lui assura que les cruelles fourmis ne passeraient pas,
elle ne traverseraient point le ruisseau en passant sur la branche, foi de
Pépie, dit-il, et il s’envola en direction du mas de Chante-Matines.
Intriguée, notre cigale volant vers le pré aux
anges se demandait comment Pépie arrêterait-il les envahisseurs ?
Quel était son plan ? Dame Chansonnette avait
espoir en l’action de Pépie, il avait maintes fois prouvé qu’il était sans
peur, débrouillard et très malin !
…/
Près du mas de Chante-Matines, sous les tilleuls,
vivaient et vivent toujours dans des ruches construites en liège, de nombreuses
et actives abeilles, fournissant aux métayer du Mas beaucoup de délicieux
miel : ! les reines de ces ruches, étaient des amies de Pépie.
Notre héros, demanda une audience à ses amies les
reines et leur expliqua le danger que courait la fourmilière du pré aux anges,
demanda leur aide, leur rappela que parfois les fourmis guerrières attaquaient
aussi les ruches et tuaient beaucoup d’innocentes abeilles !
Il exposa aux reines attentives, son plan pour
interdire le passage du ruisseau sur la branche ! Les reines abeilles
comprirent que l’union ferait la force et que leur devoir était de voler au
secours de leurs cousines fourmis !
De chaque ruche, s’envolèrent des centaines
d’abeilles porteuses chacune d’un peu de miel prélevé sur leur stock, ce peu de
miel, elles allèrent le déposer sur la branche et répartirent aussitôt vers
leurs ruche chercher encore d’autre miel ! Cette opération nos vaillantes
abeilles la répétèrent maintes et maintes fois !
Bientôt une bonne partie de la branche fût
complètement recouverte d’une bonne couche de miel ! Pépie était heureux,
l’armée ennemie ne passerait pas !
Elle s’engluerait dans ce miel !
et Si toutefois elle passait, ce serait avec beaucoup de pertes et avec
difficulté ! Elle perdrait beaucoup de temps et c’est tout ce que désirait
Pépie, gagner du temps pour lui permettre la réalisation de la seconde partie
de son plan !
Il laissa donc le soin de défendre le passage aux
abeilles qui continuaient leur pont aérien des ruches à la branche et il
s’envola vers Camperol le gentil village où vivait Piafon, le chef incontesté
des moineaux, nichant dans les trous des murs des divers granges et
remises !
Piafon et ses amis n’avaient pas et n’ont pas bonne
réputation, ils vivaient et vivent de rapines, de petits larcins, parfois
dévalisant sans vergogne les greniers et mettant à mal les fruits des jardins,.
Les habitants de Camperol se seraient bien passés et se passeraient bien de la
présence de ces effrontés voleurs.
Pépie, au cours de sa vie aventureuse avait
fréquenté Piafon et ses amis, il s’était même querellé un jour avec Piafon et
Piafon avait perdu patience et, d’un coup de bec rageur, avait cassé une
antenne à Pépie ! Malgré cette discorde passagère, ils étaient restés en
bons termes ! Pépie savait que Piafon ne lui refuserait pas son aide. Dans
ce milieu, si les fâcheries sont fréquentes, l’amitié est solide et sûre.
…/
Il ne se trompait pas ! Le temps de sonner le
rassemblement de ses troupes éparses, chapardant à droite et à gauche, et
Piafon se déclara prêt, lui et une vingtaine de « malfrats » de son
espèce, à voler au secours des amis de Pépie !
L’affaire ne traîna point, en un rien de temps,
Piafon et ses amis taillèrent en pièces l’armée des fourmis guerrières, leur
avant-garde d’ailleurs était déjà prise au piège tendu par les abeilles, elle
était là cette avant-garde et une partie du gros de l’armée, dans
l’impossibilité de se mouvoir, engluée dans le miel.
Perchés sur la plus haute branche d’un chêne, Pépie
et Dame Chansonnette assistèrent à la défaite, à la déroute des
envahisseurs ! Elles fuyaient dans tous les sens les terribles guerrières,
fuyant les becs des amis de Piafon et des pinsons qui se mirent aussi à
pourchasser les fuyardes !
Elles ne reviendront pas de sitôt déclara toute
heureuse Dame Chansonnette ! et j’ai compris aujourd’hui, dit-elle aussi à
Pépie, qu’il est bon parfois d’avoir des amis et que dans tous les milieux, il
y a de bonnes âmes qui savent ce que le mot amitié veut dire !
Puis, toute émue, pour les remercier, Dame
Chansonnette embrassa par surprise, malgré leurs mines patibulaires, le grognon
Piafon et ses amis et leur déclara qu’au pré aux anges, on n’oublierait jamais
leurs sauveurs avant de s’élancer porter la bonne nouvelle à ses amis.
Piafon l'a déclaré « fofolle », mais il
avait la larme à l’œil, heureux de sa bonne action, puis se reprenant, il
haussa le ton pour annoncer qu’une victoire se fête dignement et donna
rendez-vous à tous, près des comportes du Père Grenache.
J’y vais aussi dit Pépie ! Je les accompagne
également déclara Fredaine, l’incorrigible boit sans soif, qui tenait à fêter
la victoire mais aussi, très certainement, à oublier la belle frousse qu’il
avait eue en voyant cette terrifiante armée en marche.
Pere GUISSET.
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